13/12/2009

langues/lieux

Il n'y a plus l'ombre de rien. Les nuages semblent sales.
Je traduis sans être satisfaite.
Dans ma tête j'entends the clouds looks dirty,
par la fenêtre je vois les nuages, they look dirty.
Des nuages crasseux sur le ciel bleu uni.
Dans ma tête, j’entends parfois de l'anglais, parfois du français.
Ça dépend.
De quoi, je ne sais pas.
Il faudrait que je fasse attention pour découvrir si c'est arbitraire. Je sais déjà que lorsqu’il s’agit du passé, je pense en français mais quand c'est le passé à San Francisco, dans quelle langue je pense ? Et quelle langue au quotidien : de l’une à l’autre sans règle sans principe, les deux langues mélangées ou chacune avec ses espaces réservés ? Dans quelle langue je regarde les gens, les paysages, dans quelle langue je traduis ce que je vois, ce que je vis ?
Et il y a cette troisième langue qui est autour de moi, à l’extérieur. L'hébreu trop étranger encore est, pour l’instant, un élément plus visuel que sonore que j'ajoute au reste, à ce que je vois, à la couleur locale ; qui donne un timbre à l'image, un grain, une tonalité.
De temps à autre, j'intercepte un mot, sans le vouloir, ce sont souvent des verbes, ceux que j'ai appris jusqu'ici : parler, dire, vouloir, aller et les pronoms personnels.
Ici, il n'y a pas de verbe être. Dire je, c'est dire je suis. Je française. Ani sarfart.
Parfois je voudrais être encore dans cette ignorance de la signification des sons que j’entends que je peux identifier en mots maintenant et traduire, mais il est impossible de retourner en arrière, d’oublier volontairement ce qui s’est inscrit, ce qui a pris sens définitivement.
Ma at rotsa ? Ani shararti.
( Qu’est ce que tu veux ? J’ai oublié. )

12/12/2009

Rashi Street 2

La rue est pleine de voitures garées. A certains endroits des sacs de sable en ligne réservent les dernières places disponibles : altercations à venir, prévisibles. Bientôt des éclats de voix dans le bruit des moteurs qui tournent à l’arrêt.

09/12/2009

Rashi Street

C’est d’un coup un tas de piaillement et la vision de becs qui s’ouvrent et se ferment. Il y a un endroit, c’est au numéro 38, où les arbres débordent au-dessus du trottoir. On est un instant recouvert d'ombre et aussitôt sous le toit vert touffu, un bruit violent éclate qui assourdit, un vacarme, comme s'il venait du fond des oreilles -des cris d’oiseaux, on dirait qu’ils sont des milliers- isole de la rue comme une hallucination passagère.

07/12/2009

Tel Aviv

Le temps se contracte et la ville change avant que je n'ai eu le temps de la fixer. Rien ici ne semble fait pour durer. Les commerces ouvrent et ferment, immédiatement remplacés, les repères disparaissent, la ville se renouvelle pendant la nuit. Un matin, des critiques élogieuses dans le journal sur un nouveau restaurant, un mois plus tard, à l'adresse indiquée, plus rien, portes closes sur une salle laissée telle quelle, comme quittée précipitamment. A se demander si on a rêvé cette boutique de fleurs à l'angle, cette vitrine de chaussures. Alors retourner sur ses pas, questionner les rues, le trajet, la mémoire. Rien n'apparait, c'était là pourtant, j'aurais juré. La ville est là, contre la mer, je me raccroche aux rues, aux angles, aux trajets, à mes parcours de piétons qu'on ne peut pas dévier pendant la nuit, aux toits et aux tours, tout ce qui, en hauteur, ne risque pas de s'évaporer.

03/11/2009

lieu délaissé derrière la plage - trou dans la bulle.



Il y a une semaine, j'ai mis sur cette page une photo noir et blanc. Je marchais sans parcours et comme j’étais arrivée à la mer, j’ai décidé de longer vers le sud jusqu’à ce que l’envie me revienne de tourner pour retrouver la ville et que s’efface cette sensation de bord. Fin du pays qui s’arrête là où commence l’eau. Je marchais et je prenais quelques photos, des photos qu’on ne peut pas s’empêcher de prendre parfois, la mer, des photos de la mer en marchant. Jusqu’à ce lieu qui m’a fait m’arrêter.
Lieu courbe entre la ville et le sable, étrangement délaissé sur cette promenade où restaurants et hôtels bourgeonnent sur chaque parcelle vide longeant la plage. Mais là rien. Un parking vide, quelques palmiers et une grande ligne de béton convexe et graffée qui souligne l’espace vidée, comme une scène sans acteurs.
J’avais surtout remarqué ce graffiti sur le fronton, plus gros que les autres, PACHA, et je m’étais dit, comme chaque ville française à sa rue Emile Zola, chaque grande ville du monde à son club nommé Pacha et même en France banlieue et petite ville de campagne souvent c’est ce nom qui est choisi, pourquoi ? J’ai passé une dizaine de minutes à regarder ce site étrangement à l’abandon, hésitant à pénétrer plus en avant malgré l’absence de signes, de gardes ; j’ai pris trois photos en restant sur le seuil puis j’ai repris ma route avec dans l’esprit déjà, l’idée de revenir avec un meilleur appareil, reprendre des images de ce lieu avec une présence si forte de scène vidée.
Entre temps, un ami israélien à vu mes trois photos et m'a dit qu'il y avait eu un attentat à cet endroit en 2003. Un restaurant sur la promenade près de l'ambassade américaine, quelques heures après l’investiture du premier ministre palestinien.
Cela faisait sens. Emplacement attractif, parfait pour un commerce touristique au bord de mer, non investi. J’aurais pu y penser. Mais il n’y avait rien, pas un signe, pas une stèle et la photogénie du lieu m’avait attrapée plus que les raisons possibles de son existence. Et rien depuis un mois et demi que je suis là, n’avait, dans la ville, fait écho du conflit. Je l’avais presque oublié. Le murmure très bas de jets de pierre à Jérusalem a été vite recouvert par les trombes de pluie inondant le pays et tranchant l’été d’un coup fin d’octobre. Le pays sous l’eau et le meurtre d’une famille russe causé par un adultère occupant les unes de l’actualité du moment.
Ce lieu délaissé derrière la plage est pour moi le premier trou percé dans la bulle, comme on surnomme Tel Aviv. La plupart des endroits où ont eu lieu des attentats sont reconstruits, suturés. Le restaurant prend un autre nom ou garde le même, l’arrêt redevient arrêt de bus, à côté, une stèle ou rien. Mais ici non. Lieu définitivement ? sinistré. Peut-être est-ce à cause de la plage. Cette proximité d’une réalité de loisir, de détente et d’oubli, la beauté de la mer inconciliable avec l’existence de tels évènements. Peut-être ne pas reconstruire pour ne pas prendre le risque que cela se répète, car au contraire de ce qu’on pourrait croire, souvent les attentats, mêmes des années après, surviennent dans les mêmes lieux rétablis. Je ne sais pas pourquoi, six ans plus tard, ce lieu, pourtant parfaitement localisé, n’a pas été réinvesti comme les autres.

Qu’il reste dans le décor de cette ville, interrompant le chemin des passants, ce batiment tagué faisant, de la plage, mur gris obstruant la ville et de la rue, scène fantomatique trouant pour un instant le paysage bleu uni. Qu’il annule par sa présence les quelques kilomètres qui séparent Tel Aviv de Gaza, Gaza qui surgit au tournant via ce demi rempart bétonné qui soudain rappelle le mur qui tous les jours s’allonge. Qu’il reste là. En l’état. Délabré.

Mais j’imagine qu’un jour finalement, le lieu sera racheté et d’ici là, j’aimerais pouvoir, une heure, un jour, l’investir, comme un théâtre, y faire résonner des mots et des images de cette réalité tout proche qui d’ici semble irréelle, presque imaginaire, oubliée en tous cas.

05/10/2009

Les rues s’allongent à mesure que je les parcoure, pas d’autres moyens que d’avancer pour connaitre leurs fins et leurs courbes, pour rencontrer d’autres rues, celles qui traversent de part en part et pour associer aux lignes des repères, des noms et des images. Souvent ce qui fait angle reste en mémoire : un grand palmier sec, une enseigne TATOO, une façade en chantier, un magasin d’instruments où un gamin roux regarde bouger ses doigts sur une guitare électrique, plus loin deux chats couchés et un café qui s’appelle BISTOT.

04/10/2009

Depuis que je suis arrivée, Paris est une réalité qui s'éloigne rapidement,
une ville qui me devient lentement plus étrangère qu’une fable qui raconte la brousse.

02/10/2009

Je rentre, ferme la porte derrière moi,
j'entends encore les pas dans la ville, qui résonnent,
tous les pas,
comme la persistance du son d'un concert dans les oreilles
après que la musique se soit tue
et que l'on soit à quelques mètres de la salle,
dehors sur le trottoir et que cela vibre toujours.
Il fait nuit et les voitures passent,
rapides et étrangères, la ville est lointaine,
elle a pâli, effacée par la permanence des décibels.

23/09/2009

Déménagement

Arrivée en Israël. Bizarrement, l’appartement qui est le mien, maintenant à Tel Aviv, ne définit pas mon nouvel espace. Ce n’est pas mon mouvement entre les pièces, ni leur agencement auquel je m’habitue comme à un chez moi, ça ce n’est presque rien, des déplacements vides. Ce qui depuis 24 heures se constitue autour de moi, c’est le décor dans le cadre des fenêtres, les vis à vis, la rue et la lumière dont je ne connais rien encore, c’est la cage d’escalier, le mouvement de la clé dans la serrure. Je quitte une avenue pour le carrefour d’une petite rue calme, un sixième étage pour un troisième. Ce qui se substitue lentement, c’est le tout proche, les trajets et comment le soir entre chez soi ici. L’appartement est agréable et confortable, on ne s’y cogne pas, je m’y sens bien, il est lisse, neuf, sans histoire, prêt à m’accueillir et à se faire oublier pour des regards dirigés vers l’extérieur ou vers la page. Et c’est ce changement de spectacle quotidien que j’apprivoise. Pas un pays, pas un peuple, pas une langue, pas même une ville encore, simplement ce qui entoure l’endroit où je dors, où je vis, où j’écris. Ce décor deviendra aussi familier que le goût d’une pomme et à ce moment là, je réaliserai que je vis ici, que je ne suis pas de passage.

17/08/2009

Retour de pause

Après 10 jours et 8 heures minimum par jour de position assise devant l’écran, - deux angles droits face à face - devant les pages word tellement noircies que noyées ; continuer devenait inutile. L'écran me le disait en se brouillant, mon cerveau le suggérait en s'essoufflant dans la construction de phrases sans fin, sans rythme et sans moi empêtrée dans des nœuds de pensées intraduisibles en lignes ordonnées. La saturation était évidente et continuer néfaste.
S’éloigner de soi tout en restant dans le Paris vidé, désespérément immobile n’était pas chose facile. Dans tous les cas, il ne s'agissait pas de vider les lieux, mais se vider de soi pensant à la suite en continu. Vider l’intérieur du crâne qui depuis des jours, moteur en marche, était envahi par une fumée dense et un bourdonnement monotone.
S'occuper l'esprit temporairement pour tenter l'évasion. Minute après l'autre, chercher trucs et astuces pour se soustraire. Alors dormir, enfin tenter. Alors ralentir tout geste habituellement bâclé. Puis écouter les autres parler d'eux, podcast France Culture en marchant vers les Halles
(s'habituer à la radio dans la rue pour l'année à venir à l'étranger) ; être debout, être dehors, le plus possible. Etre ailleurs que chez soi. Ecouter le bruit des autres, murmure dans le mouvement. Procéder par petites notes à l'inverse des grandes plages d'écriture. Comme écrire sans conséquence, anodines notes sur un papier déchiré que peut-être on perdra, se dire tant pis, on verra. Et absorber sans le sentir, le rythme de la ville désertée, perdre la tension de soi devant la page qui cherche trop sans plus écouter. Dans l'abandon d'objectifs et de phrases à terminer, retrouver une perméabilité et laisser venir à soi une cadence de petits rythmes comme une chanson oubliée, les effets inattendus d'une cure qui lentement agi. Etre à soi même, un revenant. Finalement tenter de s’ endormir un dimanche soir, et rallumer la lumière. Tout en restant coucher, aligner sur le papier des lignes qui trottent dans la tête empêchant des moutons de sauter. Lendemain lundi, nouvelle semaine, symbolique parfaite auquel je m’attache comme à une symétrie sereine, retour de pause, reposée.

10/08/2009

Souvenir

"Les siècles et les siècles s'en vont dans le lointain comme des orages. "

Pierrot le Fou
, Godard

Escale

Dans l’image, il est au-dessus des montagnes : un même plan vertical, sommet soleil. En réalité, le soleil est beaucoup plus loin derrière et si haut que les plans ne se confondent plus avec lui.

Il y eut jusqu’à neuf heures cinq, le soleil traversant la piste, rasant la piste de plus en plus, quadrillant le mur, intérieur gris vide, face aux fenêtres obliques penchant vers nous. Le soleil dans son dernier quart d’heure, avec un éclat excessivement vif et insoutenable, plissa les yeux, effaça les pas et les traversées du terminal aux dalles grises, tachetées, luisantes ; annula les annonces de vols, de numéros de tapis roulants pour bagages arrivés, les noms des passagers attendus pour embarquer, les dates, les heures puis les voyageurs en attente, dans un camaieu blanc. Comme s’il voulait tout emporter avec lui en partant, il inonda l’aéroport par les façades vitrées comme une lave recouvre et interrompit tout mouvement des passagers perclus dans l’espace miroitant du sol javellisé reflétant le plafond neutre. La lumière assourdissante frôla tout avec intensité, nous paralysa dans l’état où nous étions, suspendus dans nos pensées et pris la place de tout. Puis il y eut un léger frisson sur la peau, un souffle sur les avions se remorquant pour le soir, le mouvement d’une sorte d’hélice sur la tour et celui descendant des escalators muets, quelques tintements de verres, le bruit de roulettes de valises suivant des pas, des interruptions, appels d’enfants dispersés, courant, injonctions en langues étrangères et tons de voix, des mouvements de hauts de corps derrière les dossiers, des camions fonçant sur la piste du soir tombant, des chariots que l’on pousse, des croisements d’avions qui roulent au ralenti, des lumières qui s’allument, des salariés, serveurs, vendeurs qui s’agitent, des traces, plusieurs, d’avions dans le ciel jaune orangé au-dessus des montagnes et bleu plus haut, des maillots fluorescents, des clignotements divers, des signaux, des mouvements, ouverture des ailes, rétractions, essais, des lanières qu’on réajuste sur l’épaule, des pages de magazines que l’on tourne sur lesquelles de nouveau les têtes se penchent, les silhouettes noires de ceux qui guident les mouvements dans le ciel, renaissant derrière les vitres de la tour de béton grise octogonale et, comme un mirage, Zurich réapparu pour ceux en haut qui pouvaient voir le sol étendu. Il n’y eut plus de soleil.

L'averse

L’orage arrive, il est tout près. Un vent pousse le gris jusqu’ici, souvent l’été réserve ce genre de changement brusque. Les nuages camouflent les montagnes, une première couche de gris noircit les arbres, le lac, le pont et s’approche. Les flashs des touristes répondent aux éclairs transitoires encore fragiles. Le temps de boire une gorgée, rues vidées spontanément, porches pleins. L’eau tombe, on regarde tous. Tous, dans le bruit de l’eau, sauf le serveur lui qui voit ça souvent, continu de passer d’un pas imperméable et franchit sans ralentir la frontière sèche du store. En face, l’église blanche se mouchète. A la table d’à côté, deux enfants s’excitent, leurs boules de glaces jaunes et fuchsias ramollissent dans des assiettes trop grandes, et le boucan de la pluie recouvre leurs exclamations en hollandais. Il reste la scène inondée de leur agitation dans la bande rétrécie du bout de terrasse abritée du auvent, presque rien d’espace entre chaises et tables qu’ils bousculent à chaque fois et les parents boivent en regardant.

C’est le deuxième jour d’affilé. Le soir est raccourci par le gris clôturant les heures de lumière d’un coup. Hier au même moment, pareille averse dans une autre ville loin d'ici. Les têtes via l'escalier de la bouche de métro avaient émergé ensemble des pôles du carrefour, et ralenti le pas, surpris simultanément par la rue aussi sombre que le sous-sol. Peut-être que ce soir, au même endroit, dans l'espace étroit qui mène à la porte de la bijouterie, sur la marche où quelques uns s’étaient pressés avec moi, sous un rebord à peine existant ; d’autres attendent logés debout, dos collés à la vitrine, humides et comme seuls, regardent le temps perdu dans la pluie qui tombe. Interrompus par le regard bridé du vendeur, ils comprennent que c’est l’heure de la fermeture, éteindre les lumières, baisser le rideau de fer. Dans le bar d’à côté, plus une seule place pour se mettre à l’abri. Les gestes de la ville ne changent pas de routine et les renvoie à leur parcours à reprendre. Comme moi hier, ils repartent.

La plupart des gens autour sont des vacanciers qui profitent du spectacle du lac sous l’eau. Ils n’ont pas encore décidé de ce qu’ils feront ensuite, rejoindre la chambre d’hôtel ou aller diner directement, peut-être. Ils n’y pensent pas. Dans la porte vitrée du bar, le reflet d’une télé où des joueurs de foot dédoublés reprennent leur souffle en marchant tête basse dans une lumière aveuglante, irréelle avec le noir d’ici. Il n’existe plus qu’une portion de la ville, celle à laquelle la pluie se bute. On est figé sur nos chaises à regarder la cloche se former au-dessus de nous et de ceux en face, de l’autre coté du bras d’eau, serrés sous des toits peu couvrants. La disparition du paysage nous rassemble. Éparpillés avant, nous sommes maintenant un groupe dans l’illusion de l’horizon supprimé. Les arrière-plans s’estompent, ce qui est proche devient plus net et plus voyant : sur la table, le cendrier en plastique rouge, vide et brillant et juste derrière les rambardes foncées qui bordent les eaux du lac à l’intérieur de la ville. On suit des yeux la pluie s’écouler sur le goudron en pente jusqu’à ce que la buée se dissipe, jusqu'à ce que l’on distingue de nouveau faiblement les montagnes comme un dénouement.