17/08/2009

Retour de pause

Après 10 jours et 8 heures minimum par jour de position assise devant l’écran, - deux angles droits face à face - devant les pages word tellement noircies que noyées ; continuer devenait inutile. L'écran me le disait en se brouillant, mon cerveau le suggérait en s'essoufflant dans la construction de phrases sans fin, sans rythme et sans moi empêtrée dans des nœuds de pensées intraduisibles en lignes ordonnées. La saturation était évidente et continuer néfaste.
S’éloigner de soi tout en restant dans le Paris vidé, désespérément immobile n’était pas chose facile. Dans tous les cas, il ne s'agissait pas de vider les lieux, mais se vider de soi pensant à la suite en continu. Vider l’intérieur du crâne qui depuis des jours, moteur en marche, était envahi par une fumée dense et un bourdonnement monotone.
S'occuper l'esprit temporairement pour tenter l'évasion. Minute après l'autre, chercher trucs et astuces pour se soustraire. Alors dormir, enfin tenter. Alors ralentir tout geste habituellement bâclé. Puis écouter les autres parler d'eux, podcast France Culture en marchant vers les Halles
(s'habituer à la radio dans la rue pour l'année à venir à l'étranger) ; être debout, être dehors, le plus possible. Etre ailleurs que chez soi. Ecouter le bruit des autres, murmure dans le mouvement. Procéder par petites notes à l'inverse des grandes plages d'écriture. Comme écrire sans conséquence, anodines notes sur un papier déchiré que peut-être on perdra, se dire tant pis, on verra. Et absorber sans le sentir, le rythme de la ville désertée, perdre la tension de soi devant la page qui cherche trop sans plus écouter. Dans l'abandon d'objectifs et de phrases à terminer, retrouver une perméabilité et laisser venir à soi une cadence de petits rythmes comme une chanson oubliée, les effets inattendus d'une cure qui lentement agi. Etre à soi même, un revenant. Finalement tenter de s’ endormir un dimanche soir, et rallumer la lumière. Tout en restant coucher, aligner sur le papier des lignes qui trottent dans la tête empêchant des moutons de sauter. Lendemain lundi, nouvelle semaine, symbolique parfaite auquel je m’attache comme à une symétrie sereine, retour de pause, reposée.

10/08/2009

Souvenir

"Les siècles et les siècles s'en vont dans le lointain comme des orages. "

Pierrot le Fou
, Godard

Escale

Dans l’image, il est au-dessus des montagnes : un même plan vertical, sommet soleil. En réalité, le soleil est beaucoup plus loin derrière et si haut que les plans ne se confondent plus avec lui.

Il y eut jusqu’à neuf heures cinq, le soleil traversant la piste, rasant la piste de plus en plus, quadrillant le mur, intérieur gris vide, face aux fenêtres obliques penchant vers nous. Le soleil dans son dernier quart d’heure, avec un éclat excessivement vif et insoutenable, plissa les yeux, effaça les pas et les traversées du terminal aux dalles grises, tachetées, luisantes ; annula les annonces de vols, de numéros de tapis roulants pour bagages arrivés, les noms des passagers attendus pour embarquer, les dates, les heures puis les voyageurs en attente, dans un camaieu blanc. Comme s’il voulait tout emporter avec lui en partant, il inonda l’aéroport par les façades vitrées comme une lave recouvre et interrompit tout mouvement des passagers perclus dans l’espace miroitant du sol javellisé reflétant le plafond neutre. La lumière assourdissante frôla tout avec intensité, nous paralysa dans l’état où nous étions, suspendus dans nos pensées et pris la place de tout. Puis il y eut un léger frisson sur la peau, un souffle sur les avions se remorquant pour le soir, le mouvement d’une sorte d’hélice sur la tour et celui descendant des escalators muets, quelques tintements de verres, le bruit de roulettes de valises suivant des pas, des interruptions, appels d’enfants dispersés, courant, injonctions en langues étrangères et tons de voix, des mouvements de hauts de corps derrière les dossiers, des camions fonçant sur la piste du soir tombant, des chariots que l’on pousse, des croisements d’avions qui roulent au ralenti, des lumières qui s’allument, des salariés, serveurs, vendeurs qui s’agitent, des traces, plusieurs, d’avions dans le ciel jaune orangé au-dessus des montagnes et bleu plus haut, des maillots fluorescents, des clignotements divers, des signaux, des mouvements, ouverture des ailes, rétractions, essais, des lanières qu’on réajuste sur l’épaule, des pages de magazines que l’on tourne sur lesquelles de nouveau les têtes se penchent, les silhouettes noires de ceux qui guident les mouvements dans le ciel, renaissant derrière les vitres de la tour de béton grise octogonale et, comme un mirage, Zurich réapparu pour ceux en haut qui pouvaient voir le sol étendu. Il n’y eut plus de soleil.

L'averse

L’orage arrive, il est tout près. Un vent pousse le gris jusqu’ici, souvent l’été réserve ce genre de changement brusque. Les nuages camouflent les montagnes, une première couche de gris noircit les arbres, le lac, le pont et s’approche. Les flashs des touristes répondent aux éclairs transitoires encore fragiles. Le temps de boire une gorgée, rues vidées spontanément, porches pleins. L’eau tombe, on regarde tous. Tous, dans le bruit de l’eau, sauf le serveur lui qui voit ça souvent, continu de passer d’un pas imperméable et franchit sans ralentir la frontière sèche du store. En face, l’église blanche se mouchète. A la table d’à côté, deux enfants s’excitent, leurs boules de glaces jaunes et fuchsias ramollissent dans des assiettes trop grandes, et le boucan de la pluie recouvre leurs exclamations en hollandais. Il reste la scène inondée de leur agitation dans la bande rétrécie du bout de terrasse abritée du auvent, presque rien d’espace entre chaises et tables qu’ils bousculent à chaque fois et les parents boivent en regardant.

C’est le deuxième jour d’affilé. Le soir est raccourci par le gris clôturant les heures de lumière d’un coup. Hier au même moment, pareille averse dans une autre ville loin d'ici. Les têtes via l'escalier de la bouche de métro avaient émergé ensemble des pôles du carrefour, et ralenti le pas, surpris simultanément par la rue aussi sombre que le sous-sol. Peut-être que ce soir, au même endroit, dans l'espace étroit qui mène à la porte de la bijouterie, sur la marche où quelques uns s’étaient pressés avec moi, sous un rebord à peine existant ; d’autres attendent logés debout, dos collés à la vitrine, humides et comme seuls, regardent le temps perdu dans la pluie qui tombe. Interrompus par le regard bridé du vendeur, ils comprennent que c’est l’heure de la fermeture, éteindre les lumières, baisser le rideau de fer. Dans le bar d’à côté, plus une seule place pour se mettre à l’abri. Les gestes de la ville ne changent pas de routine et les renvoie à leur parcours à reprendre. Comme moi hier, ils repartent.

La plupart des gens autour sont des vacanciers qui profitent du spectacle du lac sous l’eau. Ils n’ont pas encore décidé de ce qu’ils feront ensuite, rejoindre la chambre d’hôtel ou aller diner directement, peut-être. Ils n’y pensent pas. Dans la porte vitrée du bar, le reflet d’une télé où des joueurs de foot dédoublés reprennent leur souffle en marchant tête basse dans une lumière aveuglante, irréelle avec le noir d’ici. Il n’existe plus qu’une portion de la ville, celle à laquelle la pluie se bute. On est figé sur nos chaises à regarder la cloche se former au-dessus de nous et de ceux en face, de l’autre coté du bras d’eau, serrés sous des toits peu couvrants. La disparition du paysage nous rassemble. Éparpillés avant, nous sommes maintenant un groupe dans l’illusion de l’horizon supprimé. Les arrière-plans s’estompent, ce qui est proche devient plus net et plus voyant : sur la table, le cendrier en plastique rouge, vide et brillant et juste derrière les rambardes foncées qui bordent les eaux du lac à l’intérieur de la ville. On suit des yeux la pluie s’écouler sur le goudron en pente jusqu’à ce que la buée se dissipe, jusqu'à ce que l’on distingue de nouveau faiblement les montagnes comme un dénouement.