03/11/2009

lieu délaissé derrière la plage - trou dans la bulle.



Il y a une semaine, j'ai mis sur cette page une photo noir et blanc. Je marchais sans parcours et comme j’étais arrivée à la mer, j’ai décidé de longer vers le sud jusqu’à ce que l’envie me revienne de tourner pour retrouver la ville et que s’efface cette sensation de bord. Fin du pays qui s’arrête là où commence l’eau. Je marchais et je prenais quelques photos, des photos qu’on ne peut pas s’empêcher de prendre parfois, la mer, des photos de la mer en marchant. Jusqu’à ce lieu qui m’a fait m’arrêter.
Lieu courbe entre la ville et le sable, étrangement délaissé sur cette promenade où restaurants et hôtels bourgeonnent sur chaque parcelle vide longeant la plage. Mais là rien. Un parking vide, quelques palmiers et une grande ligne de béton convexe et graffée qui souligne l’espace vidée, comme une scène sans acteurs.
J’avais surtout remarqué ce graffiti sur le fronton, plus gros que les autres, PACHA, et je m’étais dit, comme chaque ville française à sa rue Emile Zola, chaque grande ville du monde à son club nommé Pacha et même en France banlieue et petite ville de campagne souvent c’est ce nom qui est choisi, pourquoi ? J’ai passé une dizaine de minutes à regarder ce site étrangement à l’abandon, hésitant à pénétrer plus en avant malgré l’absence de signes, de gardes ; j’ai pris trois photos en restant sur le seuil puis j’ai repris ma route avec dans l’esprit déjà, l’idée de revenir avec un meilleur appareil, reprendre des images de ce lieu avec une présence si forte de scène vidée.
Entre temps, un ami israélien à vu mes trois photos et m'a dit qu'il y avait eu un attentat à cet endroit en 2003. Un restaurant sur la promenade près de l'ambassade américaine, quelques heures après l’investiture du premier ministre palestinien.
Cela faisait sens. Emplacement attractif, parfait pour un commerce touristique au bord de mer, non investi. J’aurais pu y penser. Mais il n’y avait rien, pas un signe, pas une stèle et la photogénie du lieu m’avait attrapée plus que les raisons possibles de son existence. Et rien depuis un mois et demi que je suis là, n’avait, dans la ville, fait écho du conflit. Je l’avais presque oublié. Le murmure très bas de jets de pierre à Jérusalem a été vite recouvert par les trombes de pluie inondant le pays et tranchant l’été d’un coup fin d’octobre. Le pays sous l’eau et le meurtre d’une famille russe causé par un adultère occupant les unes de l’actualité du moment.
Ce lieu délaissé derrière la plage est pour moi le premier trou percé dans la bulle, comme on surnomme Tel Aviv. La plupart des endroits où ont eu lieu des attentats sont reconstruits, suturés. Le restaurant prend un autre nom ou garde le même, l’arrêt redevient arrêt de bus, à côté, une stèle ou rien. Mais ici non. Lieu définitivement ? sinistré. Peut-être est-ce à cause de la plage. Cette proximité d’une réalité de loisir, de détente et d’oubli, la beauté de la mer inconciliable avec l’existence de tels évènements. Peut-être ne pas reconstruire pour ne pas prendre le risque que cela se répète, car au contraire de ce qu’on pourrait croire, souvent les attentats, mêmes des années après, surviennent dans les mêmes lieux rétablis. Je ne sais pas pourquoi, six ans plus tard, ce lieu, pourtant parfaitement localisé, n’a pas été réinvesti comme les autres.

Qu’il reste dans le décor de cette ville, interrompant le chemin des passants, ce batiment tagué faisant, de la plage, mur gris obstruant la ville et de la rue, scène fantomatique trouant pour un instant le paysage bleu uni. Qu’il annule par sa présence les quelques kilomètres qui séparent Tel Aviv de Gaza, Gaza qui surgit au tournant via ce demi rempart bétonné qui soudain rappelle le mur qui tous les jours s’allonge. Qu’il reste là. En l’état. Délabré.

Mais j’imagine qu’un jour finalement, le lieu sera racheté et d’ici là, j’aimerais pouvoir, une heure, un jour, l’investir, comme un théâtre, y faire résonner des mots et des images de cette réalité tout proche qui d’ici semble irréelle, presque imaginaire, oubliée en tous cas.