10/03/2010

Dizingoff Square

Les distances relatives


Pour chaque ville j’ai une carte. Un morceau de papier qui fini usé jusqu’à la fibre et dont les pliages répétés ont progressivement effacés le dessin des rues qui à mesure des semaines et de leur disparition me devenaient familières. C’est un petit rectangle de la taille d’un livre de poche ouvert. Ce n’est jamais une de ces carte immense qui, dépliée, vous isole et vous signale à la ville qui continue d’avancer.

- Ces cartes là, les cartes accordéons, appartiennent aux trajets longs, aux espaces ouverts sur l’horizon, aux routes poursuivies des heures en voiture, passant villages et champs, vérifiant le numéro de la départementale d’un regard rapide sur la carte posée sur le siège passager. Ces cartes paysages appartiennent aux marches longues, exploratrices, où importe le moindre nivellement, la courbure des chemins et les points d’eaux ; là, on peut les étaler au sol, s’y pencher à plusieurs, de ses genoux en tenir les bords et chercher les sentiers. -

Pour les villes, j’aime ce petit format qui condense les rues dans une gamme de couleurs évidentes, sans demi-ton, sans détail, et qui peut se consulter en marchant dans la foule qui progresse sans ralentir. Ce sont des plans pratiques que l’on trouve dans les accueils pour touristes ou dans les pages détachables d’un guide.
J’aime les cartes parce que j’aime autant me perdre, déambuler sans but et sans direction que soudain me localiser, comprendre le trajet parcouru.

Je me souviens que la carte de San Francisco s’arrêtait en tranchant net le cœur vert uni du Golden Gate Park, tandis qu’à l’opposé le bleu de la baie ourlait le bord. Et c’est de l’autre côté, là où la carte interrompait les rues et la représentation, c’est vers ce vide, où les noms seraient à écrire soi-même et les lignes des rues à prolonger, que je me suis le plus souvent dirigée. Je prenais le bus qui filait droit pendant une demi-heure, ne changeant de rue qu’une seule fois pour suivre une parallèle jusqu’à Ocean Beach ; me déposant à l’angle du parking de Safeway, rectangle gris sur-dimensionné face à la plage immense et déserte de l’Océan Pacifique.


À chaque nouvelle ville, je me procure cette carte, toujours de la même taille. Ville encore in-vue, contenue sur un rectangle que je tiens devant moi, les bras allongés dans l’alignement des épaules. De ce que je découvre en marchant, seuls le nom des rues et l’indication de leur croisement établit une correspondance avec la carte simplifiée enfouie dans ma poche. La marche transforme ces lignes jaunes étrangères en paysage quotidien, en suite d’images et de repères intimes.
Quelques jours après mon arrivée à San Francisco, j’ai choisi une rue, il fallait bien commencer quelque part, de cette rue d’autres se révèleraient. Une ligne droite, comme elles le sont toutes, qui allait jusqu’à la baie, quelques centimètres sur la carte mais presque deux heures à longer les 2000 numéros de cette rue sans fin, qui ne semblait ni s’approcher de la baie, ni de l’horizon qui disparaissait à mesure des vallonnements successifs.

Malgré le rectangle identique, chaque carte à sa propre échelle, non indiquée, qu’il faut, de sa marche, soi-même découvrir.
Ces cartes ne sont pas un guide, elles sont une représentation où j’aime me projeter jusqu’à ce que le réel traversé, révélé, m’en éloigne définitivement. Je m’approprie la ville, la carte devient abstraite, je la perds, je la regarde sans plus rien n’y voir, elle devient floue, fausse, elle disparait sous ses couleurs criardes maintenant passées, elle n’est plus rien qu’un bout de papier chiffonné me rappelant qu’un jour cette ville me fut étrangère.

08/03/2010

Cages d'escaliers, les espaces épargnés.


































Depuis ce matin la ville transpire sous 30 degrés qui déboussolent début mars, et la sensation inattendue sur la peau du contraste entre la rue et la fraicheur de la cage d’escalier me ramène soudainement cinq ans en arrière, début septembre, Passage Brady.

À la hâte au-dessus de l’évier, manger une des dernières pêche encore juteuse dans la chaleur accablante de la fin de l'été qui paraît recommencer. Les cages d’escalier sont les seuls endroits frais de Paris et je me donne le prétexte d’une course en bas de l’immeuble rien que pour y passer puis j'erre quelques minutes dans une foule revenue, à la peau moins claire.

Et de là, quelques autres courtes notes de carnet liées à la rue du Faubourg Saint Denis.

Un cageot de menthe devant la porte. Le lieu de la parole sur les visages.
Tout le jour, des hommes habitent la rue, debout. A force d'être toujours là, leurs traces seront bientôt visibles dans le sol, créant les stries de leur statique.

Les hommes en vert de la mairie de Paris sont venus installer deux grands sapins sous la Porte Saint Denis, puis il les ont décorés avec des boules et des guirlandes rouges et jaunes. Sous l'arche, immobiles sur les échelles, têtes dans entre les branches, on aurait dit une photo de Jeff Wall.

Sous l'encadrement de la Porte, les pigeons sont les proies faciles des enfants et des hommes soûls utilisant des cannettes de bière pour projectile. Parfois se réunissent là des minorités : quarante personnes en colère, manifestants immobiles. Et pendant quelques heures ils occupent la place, ils crient dans le mégaphone et tiennent des banderoles aux messages dissimulés dans une langue inconnue.