10/08/2009

L'averse

L’orage arrive, il est tout près. Un vent pousse le gris jusqu’ici, souvent l’été réserve ce genre de changement brusque. Les nuages camouflent les montagnes, une première couche de gris noircit les arbres, le lac, le pont et s’approche. Les flashs des touristes répondent aux éclairs transitoires encore fragiles. Le temps de boire une gorgée, rues vidées spontanément, porches pleins. L’eau tombe, on regarde tous. Tous, dans le bruit de l’eau, sauf le serveur lui qui voit ça souvent, continu de passer d’un pas imperméable et franchit sans ralentir la frontière sèche du store. En face, l’église blanche se mouchète. A la table d’à côté, deux enfants s’excitent, leurs boules de glaces jaunes et fuchsias ramollissent dans des assiettes trop grandes, et le boucan de la pluie recouvre leurs exclamations en hollandais. Il reste la scène inondée de leur agitation dans la bande rétrécie du bout de terrasse abritée du auvent, presque rien d’espace entre chaises et tables qu’ils bousculent à chaque fois et les parents boivent en regardant.

C’est le deuxième jour d’affilé. Le soir est raccourci par le gris clôturant les heures de lumière d’un coup. Hier au même moment, pareille averse dans une autre ville loin d'ici. Les têtes via l'escalier de la bouche de métro avaient émergé ensemble des pôles du carrefour, et ralenti le pas, surpris simultanément par la rue aussi sombre que le sous-sol. Peut-être que ce soir, au même endroit, dans l'espace étroit qui mène à la porte de la bijouterie, sur la marche où quelques uns s’étaient pressés avec moi, sous un rebord à peine existant ; d’autres attendent logés debout, dos collés à la vitrine, humides et comme seuls, regardent le temps perdu dans la pluie qui tombe. Interrompus par le regard bridé du vendeur, ils comprennent que c’est l’heure de la fermeture, éteindre les lumières, baisser le rideau de fer. Dans le bar d’à côté, plus une seule place pour se mettre à l’abri. Les gestes de la ville ne changent pas de routine et les renvoie à leur parcours à reprendre. Comme moi hier, ils repartent.

La plupart des gens autour sont des vacanciers qui profitent du spectacle du lac sous l’eau. Ils n’ont pas encore décidé de ce qu’ils feront ensuite, rejoindre la chambre d’hôtel ou aller diner directement, peut-être. Ils n’y pensent pas. Dans la porte vitrée du bar, le reflet d’une télé où des joueurs de foot dédoublés reprennent leur souffle en marchant tête basse dans une lumière aveuglante, irréelle avec le noir d’ici. Il n’existe plus qu’une portion de la ville, celle à laquelle la pluie se bute. On est figé sur nos chaises à regarder la cloche se former au-dessus de nous et de ceux en face, de l’autre coté du bras d’eau, serrés sous des toits peu couvrants. La disparition du paysage nous rassemble. Éparpillés avant, nous sommes maintenant un groupe dans l’illusion de l’horizon supprimé. Les arrière-plans s’estompent, ce qui est proche devient plus net et plus voyant : sur la table, le cendrier en plastique rouge, vide et brillant et juste derrière les rambardes foncées qui bordent les eaux du lac à l’intérieur de la ville. On suit des yeux la pluie s’écouler sur le goudron en pente jusqu’à ce que la buée se dissipe, jusqu'à ce que l’on distingue de nouveau faiblement les montagnes comme un dénouement.

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